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Entre quête initiatique, profondeur géopolitique et construction d’un héros hors normes, Jean-Louis Vill réinvente les codes de l’Isekai. Dans ISEKAI : L’HÉRITIER DE L’AUTRE MONDE, l’inflexion, l’auteur québécois mêle aventure fantastique, stratégie politique et introspection. Il nous dévoile ici les coulisses de son écriture, la genèse de ses personnages et ses choix narratifs ambitieux, tout en explorant les enjeux éthiques et spirituels d’un genre souvent cantonné à l’évasion. Un entretien riche et passionné pour comprendre l’univers dense d’un roman déjà culte auprès des amateurs de fantasy.
Eloïse Maillot :
Le premier tome d’Isekai : L’Héritier de l’autre monde s’intitule L’Inflexion. Comment est né ce projet d’écriture ? Vous évoquez vos parents en introduction, on sent que c’est un projet personnel.
Jean-Louis Vill :
Le projet est né pendant le Covid. Cette période d’isolement m’a laissé du temps pour découvrir les animés et la littérature japonaise, notamment le genre isekai. J’aime les histoires qui font du bien, avec de l’humour, de l’action, de la romance. J’ai beaucoup lu et regardé, mais au bout d’un moment, je ne trouvais plus rien qui me plaisait vraiment. Alors j’ai décidé d’écrire ce que j’avais envie de lire.
Eloïse Maillot :
Qu’est-ce que signifie « isekai » exactement ?
Jean-Louis Vill :
« Isekai » veut dire « autre monde » en japonais. C’est un genre où un personnage est transporté dans un univers parallèle, souvent fantastique.
Eloïse Maillot :
Comment avez-vous construit cet univers ? Par quoi avez-vous commencé ?
Jean-Louis Vill :
À force de lire et de regarder beaucoup de contenus du genre, j’ai identifié ce qui fonctionnait, mais aussi les faiblesses récurrentes. J’ai abordé l’écriture comme un problème à résoudre, en capitalisant sur ce que j’aimais et en évitant les écueils des autres auteurs.
Eloïse Maillot :
Et en quoi votre histoire se démarque-t-elle des autres récits isekai ?
Jean-Louis Vill :
Traditionnellement, dans un isekai, le héros principal est celui qui arrive dans l’autre monde. Dans mon cas, ce n’est pas le père Michihiro, mais son fils, Arius. Le lecteur s’attache d’abord aux parents avant qu’un événement dramatique ne bouleverse tout. J’ai voulu casser les codes dès le début, comme dans Game of Thrones, où l’on ne sait jamais qui va survivre. Cela ajoute de la tension narrative. Et sur le fond, même si l’univers reste fantasy, j’essaie d’y injecter une profondeur émotionnelle différente.
Eloïse Maillot :
Pourquoi avoir choisi L’Inflexion comme sous-titre pour ce premier volume ?
Jean-Louis Vill :
« L’inflexion », c’est le moment où la vie d’Arius bascule. Sa mère meurt sous ses yeux, il pense qu’il va mourir lui aussi… mais il survit, et c’est là qu’il décide de se venger. Ce choix devient le point de rupture qui oriente toute la suite. Ce n’est pas un récit centré uniquement sur la vengeance, mais cette décision est déterminante. J’ai d’ailleurs écrit ce chapitre de manière à ce que le lecteur puisse choisir s’il veut plonger dans les détails ou rester dans le rythme de l’action.
Eloïse Maillot :
Quelle littérature vous a nourri ?
Jean-Louis Vill :
Oui, mes parents m’ont fait découvrir Dumas, et Michel Strogoff de Jules Verne m’a marqué. À la fin, Strogoff tue Ivan, son ennemi juré, et celui-ci lui dit qu’en d’autres circonstances, ils auraient pu être amis. Ce moment personnel n’est pas le cœur de l’histoire, mais il la rend plus humaine. C’est un peu ce que je cherche : une tension dramatique qui ne repose pas uniquement sur l’affrontement, mais sur un cheminement intérieur. Mon premier chapitre est lié à la fin de la saga, il y a un fil rouge qui se dévoilera progressivement.
Eloïse Maillot :
L’isekai est très populaire au Japon. Pourquoi ce genre est-il encore peu connu en France ?
Jean-Louis Vill :
Il est bien plus connu dans les pays anglophones. Au début, j’ai même envisagé d’écrire uniquement en anglais. Puis je me suis dit que ce serait dommage de ne pas proposer une version française dès le départ. Il manque souvent de bonnes traductions ou d’éditions françaises dès la sortie.
Eloïse Maillot :
À qui s’adresse ce livre ? Quel est votre lectorat idéal ?
Jean-Louis Vill :
Je visais les jeunes adultes, surtout les hommes de 16 à 35 ans, car c’est le public typique de l’isekai. Mais j’ai été surpris : la majorité de mes lecteurs sont des femmes. Mon agence américaine m’a confirmé que le livre touche un public large : fans de fantasy, joueurs, amateurs de jeux de rôle… C’est plus universel que je ne l’imaginais.
Eloïse Maillot :
Vous avez évoqué une dimension plus profonde dans votre récit. Quel est le message que vous cherchez à transmettre ?
Jean-Louis Vill :
Ce qui définit une personne, c’est la manière dont elle affronte les épreuves. Certains s’effondrent, d’autres tombent mais se relèvent. C’est facile de chuter, mais ce n’est pas une fatalité. On n’est jamais totalement seul : il y a toujours des mains tendues, encore faut-il lever les yeux pour les voir. Il y a deux idées que je veux transmettre : la résilience, et le fait qu’on ne traverse rien seul.
Eloïse Maillot :
Ce premier volume est le début d’une série. Avez-vous déjà planifié la suite ?
Jean-Louis Vill :
Oui, elle est déjà écrite. Et le tome suivant est même terminé aux trois quarts. En réalité, j’ai de quoi écrire entre 17 et 20 tomes sans difficulté. L’univers est vaste et déjà bien structuré.
Eloïse Maillot :
Quels livres vous ont récemment marqué ?
Jean-Louis Vill :
En ce moment, je lis beaucoup d’isekai, forcément. Avant, c’était des ouvrages de développement personnel ; je viens du monde de l’informatique et j’aime apprendre. Mais en ce moment, c’est vraiment la fantasy qui me passionne.
Eloïse Maillot :
Votre rythme d’écriture semble soutenu. Comment vous organisez-vous au quotidien ?
Jean-Louis Vill :
Je sais où je vais, mais je ne connais pas toujours le chemin à l’avance. Ce qui m’importe, c’est de maintenir un rythme. Dans mon livre, j’alterne entre scènes d’action et moments plus calmes, parce que je trouve frustrant de lire 200 pages sans que rien ne se passe. J’intègre l’information, l’humour, la romance dans ces respirations narratives. L’idée, c’est de ne jamais perdre le lecteur en route.
Eloïse Maillot :
Comment organisez-vous vos journées pour écrire ?
Jean-Louis Vill :
Dès que je sais quel type de chapitre m’attend, je commence par prendre des notes au fil de la semaine. Des idées, des détails, des éléments de tension. Quand vient le moment d’écrire, tout est déjà amorcé. En général, je peux écrire une trentaine de pages en un week-end, mais ce travail d’amont est essentiel. Il me permet d’écrire avec fluidité, car les personnages sont bien définis, leur personnalité impose une logique que je respecte. C’est d’ailleurs ce qui m’oblige parfois à réécrire certaines scènes. Je dois alors trouver une autre sortie, en cohérence avec leur dynamique.
Eloïse Maillot :
Pourquoi avoir choisi un héros aussi jeune ? Arius n’a que sept ans.
Jean-Louis Vill :
C’est une manière de contourner les codes de l’Isekai. Le personnage classique, ici Michiro, aurait eu 19 ans et un passé déjà construit. Mais j’ai voulu partir du fils du héros, pour suivre son évolution, comprendre ce qui forge sa valeur, ses forces, ses failles. On voit rarement la construction d’un héros, on le découvre souvent déjà accompli. En montrant l’enfance, les épreuves, les choix, je donne au lecteur une matière plus riche, plus intime. Cela ouvre aussi un espace narratif important pour les tomes suivants.
Eloïse Maillot :
Okame occupe un rôle très fort auprès d’Arius. Quelle est sa fonction symbolique dans le récit ?
Jean-Louis Vill :
Pour moi, elle incarne l’ange gardien. Pas au sens mystique ou maternel, mais comme cette présence discrète qui veille sans agir à notre place. Elle est là pour guider, non pour protéger de tout. Arius doit apprendre par lui-même, se tromper, se relever. Elle intervient pour l’aider à grandir, pas pour l’empêcher de tomber. J’ai été marqué très jeune par une remarque de ma sœur jumelle, qui m’a fait prendre conscience qu’on peut être bienveillant sans être soumis. Dire non est aussi une forme d’affirmation. Okame porte cette idée : elle pousse Arius à poser ses limites, à se définir. Ce rôle-là est fondamental dans sa construction.
Voici la dernière partie de l’interview réécrite dans le même esprit que précédemment : plus littéraire, sans tics de langage, condensée, et fluide pour un format web.
Eloïse Maillot :
Okame serait-elle un peu votre sœur ?
Jean-Louis Vill :
Pas exactement. Mais il y a d’elle en Okame, oui. L’adolescence est une période où l’on cherche sa voie. Sa remarque, à l’époque, m’a aidé à comprendre qu’on peut poser des limites sans renier l’amour ou la bienveillance. Ce genre de parole forge un caractère.
Eloïse Maillot :
Votre roman peut-il être lu par des enfants ?
Jean-Louis Vill :
À partir de 16 ans. Avant, certains thèmes ou la structure du récit risquent d’être un peu trop denses.
Eloïse Maillot :
Votre récit est aussi très stratégique, presque géopolitique. C’était voulu ?
Jean-Louis Vill :
Oui. Je voulais qu’il y ait une cohérence. Pourquoi un roi agit-il d’une certaine manière ? Pourquoi une alliance se forme-t-elle ? Il me semblait important de donner de l’épaisseur aux enjeux, d’aller au-delà du simple divertissement. Cette densité politique ajoute de la gravité, une lecture possible en profondeur.
Eloïse Maillot :
Le genre Isekai est souvent associé à l’évasion. Dans votre roman, cela devient-il un enjeu éthique et politique ou est-ce secondaire ?
Jean-Louis Vill :
Ce n’est pas secondaire. J’ai mené beaucoup de recherches pour rendre le monde crédible et pour questionner certains mécanismes de pouvoir ou de solidarité. Ce n’est pas juste un univers de fantasy ; c’est un terrain pour explorer ce qui pousse les gens à agir, à s’unir, à se trahir. C’est là que le genre devient riche : quand il donne à penser.
Eloïse Maillot :
Que peut-on attendre du volume suivant ?
Jean-Louis Vill :
Arius va prendre la route et va chercher à se former, à devenir plus fort. C’est le passage obligé de l’aventurier. Mais ce voyage ne sera pas linéaire. Des épreuves l’attendent, des choix aussi. Atteindra-t-il son but ? Se perdra-t-il en chemin ? C’est toute la tension du tome à venir.
Eloïse Maillot-Nespo